Ez 37,12-14, Ps 129(130), Rm 8,8-11, Jean 11,1-45
La Pâque de Lazare
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Cette année, pendant le Carême, nous entendons trois grands textes de l’Évangile qui, dans l’Église antique, accompagnaient les catéchumènes dans leur catéchèse avant le Baptême. Après la rencontre avec la femme Samaritaine et la guérison de l’aveugle de naissance, nous méditons la résurrection de Lazare. Nous nous trouvons près de Jérusalem, à Béthanie, dans la maison des amis de Jésus : Marthe, Marie et Lazare.
Voici la clé pour comprendre l’Évangile d’aujourd’hui : ce texte parle du sens de la mort de Jésus et non pas de la mort de Lazare. Beaucoup d’éléments de cette péricope indiquent que la mort de Jésus est proche : Quand Jésus décide de retourner en Judée, ses disciples cherchent à le dissuader : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » (v.8)
Thomas dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (v.16) Rarement on se souvient de cette belle déclaration de Thomas. On retient plutôt qu’il était incrédule.
Cependant Thomas est le seul parmi les apôtres à faire une telle proposition. Tous les apôtres sont conscients que si Jésus se rend à Jérusalem, il y sera tué.
Quand les pharisiens apprennent ce qui s’est passé à Béthanie, ils signent l’arrêt de mort de Jésus : « À partir de ce jour-là, ils décidèrent de le tuer. » (v.53) Et le grand prêtre Caïphe justifie leur décision : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. » (v.50)
1. Pourquoi ?
La certitude de la mort qui attend Jésus à Jérusalem signifie que cette mort est le prix de la vie de Lazare. Jésus a fait sortir Lazare du tombeau mais il en a payé de sa vie. Il est frappant comment Jean décrit le tombeau de Lazare : « C’était une grotte fermée par une pierre. » (v.38) Cette description correspond à celle du tombeau de Jésus. C’est comme si Jean voulait dire : « Lazare sortira du tombeau, et Jésus y entrera à sa place. » Pour que Lazare puisse vivre, Jésus doit mourir.
Nous lisons cet évangile le dimanche où l’Église commence à célébrer le temps de la Passion. C’est le temps de la contemplation du sens de la mort de Jésus sur la croix. Contempler le mystère de la Croix nous conduit à comprendre le sens de notre Baptême et celui de la vie de baptisés. Le Baptême c’est la vie que nous recevons de Dieu au prix de la mort de Jésus.
Méditation de saint John Henry Newman (1801-1890)
Le Christ est venu pour ressusciter Lazare, mais l’éclat de ce miracle sera la cause immédiate de son arrestation et de sa crucifixion (Jn 11,46s). (…) Il sentait bien que Lazare revenait à la vie au
prix de son propre sacrifice ; il se sentait lui-même descendre au tombeau d’où il allait faire sortir son ami ; il sentait que Lazare devait vivre et que lui-même devait mourir. Les apparences allaient
se renverser : il y aurait un festin chez Marthe (Jn 12,1s), mais la dernière pâque de tristesse lui revenait à lui. Et Jésus savait qu’il acceptait totalement ce renversement : il était venu du sein de
son Père pour racheter par son sang tout le péché des hommes et ainsi faire remonter tout croyant de sa tombe comme son ami Lazare — les ramener à la vie, non pour un temps, mais pour toujours. (…)Face à l’ampleur de ce qu’il envisageait de faire dans cet unique acte de miséricorde, Jésus a dit à Marthe : « Je suis la Résurrection et la Vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et tout
homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais ». Faisons nôtre cette parole de réconfort, à la fois face à notre propre mort et à celle de nos amis : là où il y a foi en Christ, le Christ est là en personne. « Le crois-tu ? » demande-t-il à Marthe. Là où un cœur peut répondre comme Marthe : « Oui, je le crois », là le Christ se rend miséricordieusement présent. Bien qu’invisible, il se tient là, même devant un lit de mort ou une tombe, que ce soit nous-mêmes qui dépérissons ou ceux que nous aimons. Que son nom soit béni ! Rien ne peut nous enlever cette consolation. Par sa grâce, nous sommes aussi sûrs qu’il est là avec tout son amour que si nous le voyions. Après notre expérience de ce qui est arrivé à Lazare, nous ne douterons pas un instant qu’il est plein d’égards pour nous et qu’il se tient à nos côtés. (…)
2. Nous sommes tous « Lazare »
Pour saisir ce que signifie la mort de Jésus pour nous, laissons-nous inviter à nous retrouver dans la personne de Lazare. Disons-nous : « Nous sommes tous Lazare ». Il est bien de se voir dans la personne de Lazare car c’est quelqu’un dont l’évangile dit que Jésus l’aimait :
- « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » (v.3)
- Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. (v.5)
- « Lazare, notre ami, s’est endormi. » (v.11)
- Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » (v.35.36)
Le rappel de l’amour de Jésus pour Lazare revient comme refrain dans cet évangile. Et c’est bien ça qui est le plus important : La mort de Jésus montre son amour sans limites pour Lazare. En nous retrouvant dans Lazare nous saisissons la profondeur de l’amour de Jésus pour chacune et chacun d’entre nous.
Dans l’église des cisterciens à Cracovie (Pologne) se trouve un vieux crucifix au-dessus duquel nous remarquons une inscription :
« Charitas sine modo » – « Amour sans limites ».
L’évangile de Lazare parle de nous. Jésus s’adresse à chacun(e) de nous en nous appelant : « Mon ami(e) ».
Et ce n’est pas une simple déclaration. J’entends cette parole en regardant Jésus sur la croix et je réalise qu’il meure pour moi par amour.
3. Mourir pour vivre – notre Pâque avec le Christ
Devant ce que Jésus a fait pour moi je dois me poser une question : Qu’est-ce que je fais avec un tel amour ? Cette question me place au cœur de l’Évangile.
Dans la vie de foi il s’agit de vivre une rencontre personnelle avec Jésus qui m’a tout donné car il m’aime. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » (Jn 3,16) Vivre sa foi, vivre selon l’Évangile, c’est vivre la Pâque avec le Christ.
Le pape Benoît XVI répétait souvent que la foi n’est pas un recueil de commandements ; elle n’est pas une théorie, une philosophie, une idéologie, un ensemble de rituels, de traditions, de coutumes… La foi est une rencontre personnelle avec Jésus Christ. Tout le reste en découle.
Oui, je vais à l’église. Est-ce que j’y rencontre Jésus ? Est-ce que je parle avec lui de quelque chose d’important pour moi ? Est-ce que le temps que j’y passe compte plus que ce que je vis avec lui ?
Dans l’Église antique on posait deux questions avant le baptême :
- « Pour toi, qui est Jésus Christ ? »
- « Si Jésus est important pour toi, qu’est-ce que ça change dans ta vie ? »
Dans la vie de Lazare tout a changé. Jésus l’a fait passer par la mort. Et il l’a fait avec préméditation. Jésus a tout fait pour avoir la certitude que Lazare était bien mort. Quand les sœurs de Lazare ont envoyé dire à Jésus : « Ton ami est malade. », lui, au lieu de partir aussitôt, attend deux jours (v.6). Quand il arrive à Béthanie, Lazare est déjà depuis quatre jours dans le tombeau. Humainement parlant, Jésus est venu aux obsèques de son ami avec quatre jours de retard. Quand Jésus vient au tombeau et demande d’enlever la pierre, Marthe lui dit : « Il sent déjà ».
Jésus a vraiment tout fait pour faire passer Lazare par la mort à la vue de tout le monde. Notre rencontre personnelle avec Jésus Christ suppose aussi le passage par la mort. C’est bouleversant
mais c’est un élément intégral de la Pâque du Christ. Affrontons cette vérité avec foi et demandons nous : Qu’est-ce qui doit mourir en moi ? Si je décide de rencontrer Jésus et le suivre, si je l’écoute, je serai prêt à passer avec lui par la mort. Tel est le sens profond du Baptême. Dans l’Église antique le Baptême se faisait par immersion. Le catéchumène descendait sept marches jusqu’au fond du bassin baptismal. Intérieurement, il descendait jusqu’à toucher le fond de lui-même, jusqu’à la zone la plus obscure. Cette démarche signifiait la mort au péché. Quand le baptisé remontait de l’eau, il commençait une nouvelle vie. « Ne le savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême. Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. Car, si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. Nous le savons : l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui pour que le corps du péché soit réduit à rien, et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché. Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. » (Rm 6,3-8)
Du lieu de ma mort jaillit ma nouvelle vie. Sans ce passage par la mort on ne peut pas parler d’une rencontre personnelle avec Jésus Christ. Le vieil homme qui est en nous doit d’abord mourir.
« Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » (Col 2,12)
« Vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se
renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y
a le Christ : il est tout, et en tous. » (Col 3,9-11)
Après le passage par la mort nous entrons avec le Christ dans la vie, la vie éternelle. « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jn 11,25-26)
Cette nouvelle vie c’est la vie de Jésus. Elle consiste à aimer comme Jésus aime. « Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. » (1Jn 3,14)
Bien fraternellement
Père Wojtek omi
cinquième billet de Carême